Depuis 2006, l’association Cancer Campus développe un biocluster sur le territoire de Villejuif, et c’est autour de l’Institut Gustave-Roussy (IGR)1, premier centre de lutte contre le cancer en Europe, que ce projet se concrétisera. Paradoxalement, ce biocluster qui concentre des dynamiques de projets internationaux, métropolitains et locaux n’est actuellement accessible qu’en bus ou en voiture. Pressenti pour accueillir une station d’interconnexion entre le futur métro en rocade et le prolongement de la ligne 14, ces conditions d’accessibilité vont connaître un changement radical passant « du presque rien au presque tout ». La nouvelle organisation des transports proposée par les équipes de préfiguration du Grand Paris constitue ainsi une opportunité pour enclencher le développement urbain autour de l’IGR et amorce une métamorphose pour ce territoire. Présentation, par l’agence TVK.
Dans un premier temps, c’est sur le site et sa géographie que nous avons concentré nos recherches, afin d’en comprendre les matrices du développement urbain. Si la Bièvre n’est plus visible, il n’en reste pas moins les coteaux bordant son ancien lit, les talwegs et plateaux en surplomb. Cette entité géographique a donné lieu à un développement urbain particulier : tissu pavillonnaire sur les coteaux, bâti plus dense sur les plateaux à proximité des axes de circulation structurants (RD7, RD20). Ce territoire se trouve en limite de plateau et offre des vues remarquables sur la vallée. Depuis le bâtiment de l’IGR, l’un des points culminants du Val-de-Marne, sont visibles des monuments et paysages métropolitains emblématiques. Il s’agit ainsi d’un morceau de ville avec vue : vue sur le grand paysage mais aussi sur le parc départemental des Hautes Bruyères qui jouxte l’IGR et constitue la pièce centrale d’un chapelet d’espaces verts s'étendant du parc Montsouris au sud de Paris au parc départemental des Lilas à Vitry-sur-Seine.
L’enjeu est de lier la ville existante diffuse à un aménagement plus compact et plus dense. L’arrivée du métro permet d’interroger les potentiels fonciers et les lieux sous-utilisés : les nappes de parkings qui s’étendent actuellement autour du bâtiment de l’IGR et la récurrence des impasses confortent le sentiment d’être à la terminaison d’une ville. Aussi avons-nous toujours gardé à l’esprit que la station de métro devait être au cœur d’une trame urbaine fluide et cohérente en évitant les poches inaccessibles. L’objectif majeur du projet Cancer Campus, dans le cadre de l’extension de l’hôpital, est de mettre en symbiose – sur le modèle du campus urbain – de nouveaux laboratoires, des bâtiments de recherche, des bureaux, des logements, des commerces et des équipements. Pour créer cette condition d'équilibre ville/nature, l’armature paysagère met en réseau des gaines végétales qui cintrent les îlots de projet avec le parc des Hautes Bruyère, afin que la végétation infiltre le tissu urbain dense et fasse disparaître les limites du parc.
La gare est un point déterminant pour relier métropolitain et local, cette interaction devant être favorisée par des lieux de vie atypiques et ambitieux. La spécificité de cette gare découle de sa situation exceptionnelle. Implantée à un niveau très élevé du territoire francilien, les lignes de métro seront donc profondément enterrées : le métro en rocade à -30 mètres et la ligne 14 à -15 mètres, ce qui a permis d’inventer une typologie particulière de station. Le projet évoque la figure de l’iceberg : la partie émergée de la station, en rapport avec la ville, l’hôpital, le parc et les nouveaux projets, n'est qu’une petite part de son volume immergé qui comporte les deux métros et les programmes les accompagnant. En contrepoint de l’IGR, conçu sur un plan de basilique, la gare se présente comme une « cathédrale inversée », un bâtiment invisible et évidé, un vide creusé dans la « montagne », dont l’espace intérieur est mis en scène, en contraste avec le bâtiment extrêmement visible de l’IGR.
Ce « monument enterré » est un réceptacle de l’expression des forces du quartier ; neutres ou inertes, en lien avec le sous-sol, mais aussi actives en s’imprégnant de l’environnement extérieur. La gare est conçue comme une grande place publique, pliée en creux et offrant des services (restaurants, commerces, divertissements) à tous les usagers particuliers de ce campus, notamment ceux qui en ont besoin à toute heure du jour et de la nuit, comme le personnel soignant de l’hôpital, les patients et leurs familles. Rappelons que l'IGR accueille 5 000 personnes par jour et connaît des événements imprévisibles, intenses et ininterrompus. Dans la gare, les habitants de l'IGR qui y transitent quotidiennement pourront prendre un café, profiter visuellement de l’étendue du parc ou bien assister à un concert. Cette gare est conçue comme un cube dont les quatre faces sont en connexion avec leur environnement. Son volume intérieur est comme « conscient » de ce qui se passe dehors, chacune des quatre faces du cube possédant des « fenêtres » ouvertes sur l’espace central : une face correspond à un spectacle, telle une « fenêtre sur cour ».
Au nord, du côté de l'hôpital, la façade s’ouvre sur des commerces et sur une plateforme multimodale (stationnement automobile, station de bus et parkings à vélos). À l’est, côté ville (Villejuif), il s’agit d'une façade-théâtre sur laquelle se déploie une salle de spectacle : la scène ouvre directement dans le volume du cube tandis que les sons et lumières des concerts animent l’ensemble de la gare. Au sud, le parc des Hautes Bruyères se « déverse » dans la gare et devient un sol-façade pratiqué (support de promenades, parcours de vélos, piste de rollers, mur d’escalade). À l’ouest, le côté bureaux est une façade-activités qui initie un lien avec les projets de développement à venir. Enfin, la cinquième façade, celle de la toiture, côté ciel, est « technologique » et « communicante ». Elle consiste en une verrière photovoltaïque, écran horizontal tramé protégeant des intempéries et servant de signal, visible à la fois depuis le ciel en lecture satellite et depuis la ville car elle dépasse du sol d’une dizaine de mètres : c'est la partie émergée de l’iceberg.
Article de Pierre Alain Trévelo et Antoine Viger-Kohler publié dans la revue Urbanisme, n°328, janvier-février 2012.