« C’est que la patrouille aux confins exige beaucoup d’astuce. Et de discernement. C’est au jointif, aux interfaces, que l’on trouve les plus débrouillards. Les villes frontière font lever la lourde pâte : Tanger, Trieste, Salonique, Alexandrie, Istanbul. Accueillantes aux créateurs et aux entreprenants. Aux passeurs de drogues et d’idées. Aux accélérateurs de flux. »
Régis Debray, Éloge des frontières
La limite n’est pas la frontière. Elles sont opposées. L’une sépare, l’autre relie. L’une divise, l’autre organise et stimule les échanges. L’histoire du Grand Paris moderne a commencé en 1860 avec Napoléon III et le baron Haussmann par la création d’une limite, la limite administrative de Paris, qui existe toujours. Puis le temps et les hommes en ont fait une frontière. C’est une épaisseur, la couronne parisienne, qui a une existence et une définition propres : un espace clairement lisible, une périphérie – la ville du Périphérique – : un grand espace ouvert métropolitain. Malgré la permanence de la limite administrative et l’effet de coupure, la couronne est devenue un vecteur de réinvention et d’interactions entre les parties de la mégapole parisienne.
La dernière saison du Grand Paris a engendré la MGP (la Métropole) et la SGP (le nouveau Métro). Ces deux décisions font exister, à l’intérieur de la limite administrative de la Métropole, une entité urbaine claire : la zone dense du Grand Paris au sein duquel circulera bientôt un maillage dense de transport en commun lourds – la ville du Métro. A l’image du premier Grand Paris de 1860, le Grand Paris de 2015 avance par la limite, la relation centre-périphérie et la définition d’un dedans et d’un dehors. D’ailleurs, les communes proches mais à l’extérieur de cette limite sont d’ores et déjà des communes « limitrophes » de la Métropole.
Au sujet de cette limite, de nombreuses voix se sont élevées pour montrer les dangers, voire pour prophétiser le pire. Mais le pire serait que cette limite ne sache pas devenir une frontière, qu’elle ne puisse pas engendrer un flux, un échange, une créativité, qu’elle ne fasse pas émerger un nouveau chapitre dans la longue et stimulante histoire de la culture des frontières urbaines. Car les frontières ont toujours vivifié les interactions entre les parties et ainsi augmenté la robustesse d’un territoire global.
Quels seront les effets de la nouvelle division que le Métro et la Métropole vont installer dans le Grand Paris ? La question la plus vive, à la fois cruciale et prometteuse, est sans doute celle-ci. A la différence de la couronne parisienne, cette division ne correspond pas aujourd’hui à un espace clairement identifié. Sans cette structure spatiale, comment faire que cette limite devienne une frontière ? Le travail, enthousiasmant, à mener, est d’imaginer les nouvelles interactions que pourra générer la frontière ? Interactions qui devront être à même de concerner et d’inclure l’ensemble de l’agglomération parisienne, le Grand Paris effectif.
Article de Pierre Alain Trévelo, publié dans Libération, 24 juin 2016.