TVK, c’est un engagement puissant pour transformer les infrastructures en projet, et ce dès leur diplôme sur le Périphérique prolongé par plusieurs publications. Ils témoignent à cet égard d’une constance qui prend de plus en plus sens, élargis- sant le rôle des infrastructures pour en faire des liens fondamentaux entre société et territoire ; c'est là l’origine d’une nouvelle vision adossée à un programme de recherche : « La Terre est une architecture », objet d’une exposition à la Biennale de Venise et d’un livre (2021).
Pour eux, l’infrastructure (dans la diversité de ses expressions) est un média- teur fondamental entre l’homme et la Terre. Elle dispose d’une forte capacité à perdurer et à muter en transformant son environnement. C’est ce qu’ils démontrent à Paris (Porte Pouchet, place de la République), à l’échelle métropolitaine (les places du Grand Paris) ou à Bordeaux (dans le quartier Garonne-Eiffel). Ce faisant, ils jouent savamment avec les niveaux, établissant des liens subtils par des micro-topographies pour aller vers des projets de sols qui favorisent le vivant et définissent de nouvelles formes d’espaces public en prise avec la condition terrestre. Le projet vise ainsi à régénérer le sens, les usages et les formes des infrastructures. Un travail qui s’assortit d’une approche par scénarisation, les projets se déclinant en différentes saisons dont chacune peut se suffire à elle-même face à l’imprévisibilité du monde.
Pierre Alain, parisien et haut-alpin, autant citadin que montagnard, quelques origines italiennes mais Trévelo, un nom breton, voulait faire du cinéma, étudiant à Paris puis Harvard, vrai skieur et père de deux filles. Antoine, normand et alsacien, Viger et Kohler, enfant puis adolescent dans la ville nouvelle de Val-de-Reuil, étudiant à Paris, voulait faire de la musique, vrai cycliste et père de trois enfants. Chacun de nous a trois initiales, avec un prénom ou un nom double et, sans hasard ni stratégie, notre duo aussi en a trois. Le fils d’Antoine est né le même jour que la fille de Pierre Alain… Il faut ce qu’il faut pour former un couple uni d’architectes.
Architectes.
Architectes urbanistes.
Architectes du territoire.
Amis depuis la fin de nos études d’architecture, entre les écoles de Paris- Belleville et de Paris-Tolbiac, nous fondons ensemble en 1998 l’association Tomato et réunissons un groupe de treize amis étudiants autour de l’idée de travailler sur le territoire du boulevard périphérique de Paris pour notre diplôme d’architecte.
L’énigme de l’infrastructure : déchiffre à ras du sol
Le Périphérique a marqué nos débuts d’architectes-urbanistes et ne nous a jamais quittés. Nous sommes nés en 1973, l’année de naissance du Périphérique. Lorsque nous avons commencé à nous y intéresser, aucune vision prospective n’envisageait sans préjugés le devenir de cette infrastructure majeure de la métropole. Par ailleurs, peu de travaux s’étaient aventurés à s’approcher de ce monument honni et à le questionner de manière créative. Nous nous sommes donc « attaqués » au sujet sur l’ensemble de son périmètre, tentant d’en explorer toutes ses facettes.
Durant un an et demi, à treize, nous avons réalisé un diplôme collectif atypique. Notre intuition consistait à prendre en main le Périphérique dans sa globalité en accordant une forte attention à la façon dont l’ouvrage est construit tout en comprenant finement la manière dont il traverse les différents sites de la ceinture parisienne. Le diplôme, soutenu en 1999 en tant que travail collectif avec son mémoire de 526 pages et ses huit projets, est devenu un livre en 2003 à l’occasion des 30 ans du Périphérique. Cette expérience, qui nous a donné le goût du travail collectif et a été notre premier « terrain », comme disent les anthropologues, s’est avérée déterminante et fondatrice pour la suite de notre carrière. Nous vivons à la fin des années quatre-vingt-dix un change- ment d’époque : l’attention au contexte redevenait un point de départ pour le projet. Le Périphérique nous a ainsi appris que nous héritions de situations urbaines à fort potentiel de projet pour peu qu’on prenne le temps de s’y intéresser dans toute leur complexité et de les arpenter. Des exemples asiatiques ou américains illustraient déjà la possibilité d’y inventer des situations urbaines stimulantes et remplies d’usages. Dans le cas parisien, le Périphérique est marqué d’une dimension symbolique essentielle à comprendre pour envisager, avec le temps, une appro- priation culturelle et esthétique. C’est une architecture territoriale avec laquelle on négocie en utilisant ses atouts, notamment le point de vue qu’elle offre sur les paysages de part et d’autre : quand on se place sur la limite, celle-ci disparaît.
Cette exploration s’est poursuivie dans le cadre d’une étude lancée en 2006 de concert par la Ville de Paris et la Région (une première). Elle se concrétise en 2008 par la publication de l’ouvrage No Limit, Étude prospective de l’insertion urbaine du Périphérique parisien. Pour élargir la compréhension du territoire, nous avons interrogé l’ensemble des communes riveraines afin de définir seize « iden- tités métropolitaines », des territoires s’étendant de part et d’autre du Périphérique ayant chacun un caractère propre. Nous y avons sélec- tionné des situations urbaines témoignant de relations variées, et à différentes échelles, avec l’infrastructure, comme autant de supports à projets prospectifs, mais qui toutes partagent plusieurs conditions essentielles : le Périphérique est l’armature d’un grand espace ouvert métropolitain, à l’instar de la Seine ; le territoire du Périphérique n’est pas périphérique mais central ; la notoriété de ses nœuds en fait de possibles lieux de réunion de deux rives aux destins urbains similaires. Notre compréhension de ce paysage métropolitain guide aujourd’hui notre projet de transformation de la porte de Montreuil en vaste place-jardin étendue dans la ceinture verte.
Au corps-à-corps avec les infrastructures : transformer le réel
Partant de cette expérience collective initiatique, notre duo s’est renforcé peu à peu, d’abord à l’occasion d’un concours Europan qui s’intéressait au boulevard périphérique lyonnais (projet mentionné). Puis le concours pour la porte Pouchet jouxtant le périphérique parisien, remporté en 2003, a lancé TVK. Cette opportunité nous a fait quitter les ateliers dans lesquels nous exercions, pour faire équipe avec Michel Guthmann. Contrairement à nos concurrents, nous avons proposé de négocier avec le Périphérique en ouvrant un laboratoire urbain. Le Périphérique ne peut être réduit à un objet technique et fonctionnel. Il ouvre le champ à des espaces publics inédits à ses abords immédiats, voire juste en dessous. Considéré dans son épaisseur, associé au nivellement parfois complexe qu’il a engendré et qui définit une profondeur à investir, il est possible de travailler avec lui de manière subtile. Pour cela, il faut prendre toute la mesure de cette infrastructure, la manière dont elle transforme le sol et reconfigure les situations spatiales, mais aussi dont elle s’associe aux infrastructures qui la précèdent : le vaste cimetière des Batignolles, la ceinture verte ou la réserve autoroutière. Le projet urbain devient une recherche d’appartenance territoriale, d’adhésion à la surface terrestre et de prolongement de ce qui existe par transformation et non par effacement.
Le projet de la porte Pouchet prend donc le lieu comme une géogra- phie et s’appuie sur ses ressources variées pour inventer plusieurs dispo- sitifs de projet : créer un habitat le long de la rue Rebière qui borde le cimetière ; réinterpréter et faire durer le patrimoine inscrit dans une tour-infrastructure avec la mutation de la tour Bois-le-Prêtre que réaliseront les architectes Lacaton et Vassal ; utiliser les imposants mouvements terrestres en installant, dans la topographie de l’enceinte de Thiers, un édifice-sol pour les véhicules municipaux et pompiers et un stade ; ou affirmer et consacrer l’espace public, là où l’usage dominant de l’époque, la voiture, l’avait temporairement confisqué. Donc, sous le Périphérique, les géographies terrestre et humaine se retrouvent et perdurent dans une place triangulaire singulière, située en pleine terre, dessinée par l’agence TER.
Ce projet représente un laboratoire des différentes pratiques que nous avons cherché à développer par la suite autour de l’infrastructure, dont les leçons principales résident dans l’inachèvement de l’infrastructure, sa capacité à perdurer en se transformant. Nous héritons de nombreuses situations urbaines dont les infrastructures qui parcourent nos villes façonnent le relief, le plissent et le perforent et produisent autant de ruptures à franchir que de situations à exploiter. Nos récents projets urbains prennent la forme de projets de sol qui construisent des conti- nuités à partir de ce qui est là, installent des chaînes d’espaces publics étagés, et valorisent les sols construits tout en recherchant la pleine terre : à Val de Fontenay, de part et d’autre d’une énorme autoroute dont les deux sens enferment une station de RER, à Montpellier où se rencontrent la ville historique et le quartier Antigone, ou encore à La Défense où la dalle rejoint le sol naturel dans le quartier Michelet.
Une architecture du sol
Le concours remporté en 2010 pour la transformation de la place de la République à Paris a prolongé notre recherche initiée avec les territoires du Périphérique sur le potentiel de la notion d’infrastructure. Car la place est d’abord un projet infrastructurel : avec son sous-sol saturé de constructions, des ouvrages des cinq lignes de métro et de réseaux en tous genres, la place apparaît comme le toit d’un immense bâtiment souterrain ! Et c’est un toit où se joue localement le lien avec une grande partie de la métropole parisienne.
Nous y avons beaucoup appris quant à la ténacité nécessaire pour bousculer les habitudes et négocier les innombrables interfaces avec une multitude d’interlocuteurs. Il faut dire que nous avons proposé une alter- native aux six schémas de circulation conçus par les services parisiens en amont du concours, parmi lesquels il nous était demandé de choisir pour élaborer le projet. Avec Philippe Gasser du bureau d’études Citec, nous avons proposé un dispositif inédit de réorganisation de l’ensemble des mobilités de la place avec l’arrimage de la grande esplanade piétonne vers les bâtiments-palais au nord permettant la création d’une très vaste aire piétonne, et la mise à double sens de circulation des grands boulevards jusqu’à la Madeleine. C’était selon nous la seule manière de concevoir un projet de mobilité ambitieux capable de définir un espace public clair, lisible, évolutif et surtout ouvert à tous. En un temps record, il a fallu tout changer sans tout refaire, avec un chantier mené tambour battant, sans interrompre la circulation, pour une livraison en 2013. Nous avons reven- diqué d’étendre le périmètre du projet pour renouer un lien avec le territoire, et de sonder les profondeurs du sol pour agir en surface. Faire de ce grand espace public parisien une infrastructure capable, un soubasse- ment partagé et inaliénable, un sol ouvert hospitalier et disponible pour des utilisations aujourd’hui imprévisibles s’imposait.
Mais ce projet a aussi été formateur pour saisir l’importance du nivellement, de la micro-topographie et du travail de très grande précision sur « l’architecture du sol » qui engage le déplacement du corps humain et la préhension de l’espace. Il fallait impérativement réussir la mise à plat et la discrétion du sol urbain, dans une configuration chahutée, pour disposer de ce grand plateau, offrir une épure appropriable et évolutive qui forme aujourd’hui une scène favorisant tous les usages. Le contrôle absolu des pentes, des emmarchements ou des seuils rend à la place son unité, maximise les plantations et magnifie la composition paysagère du XIXe siècle. La place a depuis vu se succéder les soubresauts de moments clés de l’histoire parisienne et française en alternance avec la poésie de la vie quotidienne, et a largement été médiatisée. Elle nous a permis de participer aux débats, si cruciaux pour nos villes et nos territoires, sur la conception des espaces publics et, plus tard, de continuer de concevoir certaines places majeures comme à Lausanne ou à Rome.
Scénarisation vs planification
Un autre moment significatif de notre travail urbain et territorial s’est joué lors de notre participation au conseil scientifique de l’Atelier international du Grand Paris à partir de 2012. Ce fut l’occasion de réfléchir, dans un cadre pluridisciplinaire, au devenir de la métropole parisienne ; d’envisager la portée des infrastructures sur le plan du temps, du récit et de la fiction. Avec Martin Vanier et Daniel Béhar de la coopérative Acadie, nous nous sommes interrogés sur la manière dont une nouvelle infrastructure territoriale, le Grand Paris Express, pourrait réorganiser le système métropolitain existant. Et il a fallu s’attaquer à la déconstruction du grand récit prophétique de l’infrastructure métropolitaine construite autour « d’un grand dessin d’aménagement », incapable à nos yeux de prendre en compte l’imprévisibilité du monde. On peut sans doute admettre qu’un concepteur ne peut plus raisonnablement penser prévoir ni déterminer le futur, même armé d’un excellent plan.
Nous avons petit à petit affirmé l’idée de « scénarisation » pour échapper à une planification trop fermée sur elle-même et obsédée par sa parfaite réalisation. Cette approche se base sur la construction temporelle des séries audiovisuelles. Elle part d’un constat : le rapport au temps est problématique en matière de projet urbain, marqué par une planifica- tion qui « part » toujours du point final, selon l’idée que le futur est néces- sairement mieux que le présent et que les conditions de vie d’un moment ne comptent finalement pas par rapport à un futur idéal figé. D’autant que l’obsession du point d’atterrissage est contre-productive : elle place les habitants en situation d’attente peu stimulante et peut conduire à une inertie, voire à des erreurs, face aux imprévus inhérents aux projets longs. La robustesse d’un plan d’aménagement repose à l’inverse sur sa capacité à évoluer et à s’adapter aux évolutions du contexte. Le concours pour l’aménagement de la friche Saint-Sauveur à Lille puis le réaménagement de l’autoroute E40 à Bruxelles nous ont servi d’expérimentations pour élaborer cette méthodologie et en déployer les outils et les repré- sentations. À chaque fois, le projet s’articule autour d’un récit scandé en plusieurs saisons, à l’écoute du tempo des territoires et structuré par une ambition d’ensemble fondamentale et partagée par les acteurs. Chaque « saison » du projet est une fin en soi, un moment de vie qui ouvre des possibles. À Dugny-La Courneuve et au Bourget, pour la réalisation du village des médias des Jeux olympiques de 2024, la scénarisation nous a permis d’envisager la question de l’héritage que représenteront les installations liées à un événement si éphémère. Ici, l’énonciation de fondamentaux, que les scénaristes de séries appellent la « bible », a servi de support à un projet de développement du territoire dont l’événement olympique ne constitue qu’un moment particulier.
Avec l’étude pour les « Places du Grand Paris », nous avons répondu à la tentative d’unification spatiale du territoire liée à l’arrivée des gares du nouveau métro par la proposition préalable de partager une culture commune de l’espace public autour d’une analyse très fine des territoires d’atterrissage des futures gares. L’étude propose une approche méthodologique collective du projet d’espace public, qui doit envisager l’arrivée de l’infrastructure souterraine tant dans la profondeur des sols et l’épais- seur temporelle que dans la portée territoriale qu’elle convoque. Elle a été publiée sous la forme d’un guide à destination des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre, structuré par des principes engageant la négociation entre les acteurs, les échelles, les temporalités contrariées, les usages humains et les milieux naturels qui fabriquent le projet d’espace public. La série servira de modèle à une forme d’écriture collective et de conception collaborative, faisant participer l’ensemble des « spécialistes » au travail de conception, de l’écologue à l’ingénieur en génie civil.
La Terre est une architecture
Au long de ces multiples travaux et recherches sur les territoires et leurs infrastructures, influencés par nos lectures des philosophies et des sciences de la Terre, il nous est progressivement apparu qu’il faut dézoomer encore plus et sortir des débats sur le fait métropolitain qui hiérarchise et met de côté une très grande partie du sol terrestre. En 2015, à l’invitation de la Cité de l’architecture à Paris, nous avons décidé de nous confronter à l’échelle de la Terre lors d’une première exposition que nous avons organisée, intitulée « La Terre est une architecture ». Puis, à l’occasion de la XVIIe Biennale de Venise, nous avons été invités par Hashim Sarkis, commissaire de la Biennale, à présenter les résultats du programme de recherche initié en 2015. Reprenant ce titre, nous avons proposé un diptyque formé d’une œuvre monumen- tale accompagnée d’un livre. Ce projet s’ancre dans les débats contemporains sur les questions terrestres et part d’un constat : les humains sont, plus que d’autres, des animaux fragiles qui ont besoin de transformer la matière terrestre pour la rendre habitable. Le titre interroge la relation entre la Terre et l’architecture, et questionne cet antagonisme supposé et grandissant, en explorant la diversité des médiations entre la Terre et les humains. Parmi ces médiations, il en est une essentielle : l’infrastructure. Parce qu’elle permet d’habiter la Terre, l’infrastructure ne peut jamais se réduire à un objet technique, et ce point de vue influence concrètement notre façon de pratiquer le projet urbain. Se confronter à l’échelle planétaire nous a ainsi permis de recharger le concept d’infrastructure comme médiation entre les humains et la Terre. Nous cherchons à considérer les sites d’intervention comme des infrastructures fabriquées au fil du temps, anthropiques mais indissociables de la Terre, pour changer notre manière d’utiliser les matériaux, le sol, et faire évoluer notre compréhension du déjà-là. La matière de l’architecture est autant spatiale que temporelle et le projet doit viser à régénérer les sens, les usages et les formes des infrastructures en présence, dans lesquelles le temps s’accumule et dure.
À Bordeaux, le projet urbain Garonne-Eiffel est conçu à partir de l’héri- tage de l’infrastructure du sol, lissé et désactivé par les étapes successives de poldérisation de la rive droite marécageuse. Sur près de 130 ha, le projet d’espace public se présente comme un paysage de terre et d’eau ; une épaisseur écologique autant qu’un grand réservoir à ciel ouvert qui stocke et fait circuler les eaux lors des inondations. Pour la transformation de l’ancienne gare de marchandises de la Rapée à Paris, nous avons considéré les infrastructures ferrées ou fluviales en déshé- rence comme un vecteur du vivant avec l’appui d’un collectif de scientifiques (Conservatoire national botanique, Muséum d’histoire naturelle, ehess…). Pour l’étude « Luxembourg in Transition », c’est l’agriculture et la sylviculture qui ont guidé notre proposition pour réduire drastiquement l’empreinte carbone de ce petit pays. Nous nous sommes intéressés à la transformation des matières premières – le bois et le lait – pour établir de nouvelles coalitions et régénérer le sol rural.
Plus généralement, le livre est une tentative de redéfinition de l’architecture et de l’urbanisme, à l’heure d’un nouveau régime écologique qui montre à quel point la Terre réagit aux activités humaines. La Terre est une puissance qui se rebelle. La penser comme un décor fixe, immuable, indépassable, une « Nature » ancestrale aussi insensible qu’éternelle, est erroné. De l’autre côté, l’architecture ne doit plus se définir comme extérieure ou posée sur la Terre, mais plutôt comme mise en forme permanente du monde, par toutes forces qui l’animent. Cette vision étend le domaine de l’architecture et de l’urbanisme pour intégrer la question du sol, de l’étendue, du vivant ou de l’énergie. Continuer à faire de l’architecture aujourd’hui, dans le contexte des crises multiples qui assaillent la Terre et mettent en cause notre capacité à survivre, nécessite que le programme de l’architecture ne se limite pas à la seule satisfaction des besoins humains. Que ce soit pour abriter un individu ou nourrir une société, les projets de transformation de la Terre doivent prendre en compte les mouvements de la foule des vivants, comme ceux des matières terrestres, les craquements du sol, les écoulements des eaux et les remous du ciel, tout en ayant conscience de l’imprévisibilité du monde. Ce glissement inaugure bel et bien des temps nouveaux pour nos métiers.
Le collectif et la transmission
Enfin, revenons à notre point de départ, le diplôme à treize architectes sur le Périphérique, car cette période initiatique nous a conduits à construire une agence structurée par un collectif mais aussi à consacrer une partie importante de notre temps à enseigner et transmettre ; Pierre Alain a enseigné dans le master d’urbanisme de Sciences Po Paris puis dans le master Métropole de l’École d’architecture de la ville et des territoires de Marne-la-Vallée. Il y co-dirige aujourd’hui le DSA d’architecte-urbaniste. Antoine, après avoir exercé pendant longtemps à l’École d’architecture de Normandie, est désormais professeur à l’École d’architecture de Paris-Val de Seine.
Nous nous définissons comme architectes et urbanistes ancrés simul- tanément dans la pratique et la théorie ; autant dans l’action que dans la recherche et la transmission. Cette démarche, construite patiemment depuis plus de vingt ans, est rendue possible par la force des liens qui forgent le collectif TVK. Une équipe d’une cinquantaine de personnes qui regroupe des architectes, urbanistes, chercheurs en architecture, un graphiste, une maquettiste et une cheffe cuisinière.
Certains sont présents depuis de nombreuses années à nos côtés et nous partageons la conviction que la condition écologique, climatique et sociale appelle à élargir le champ encore trop cloisonné de l’architecture. Pour agir sur le monde, TVK cherche à prendre acte de la complexité du monde et à faire durer ce qui a déjà été transformé en le rendant plus terrestre. Cette extension du domaine de l’architecture est le fruit des collaborations au long cours nouées avec des chercheurs, des experts et des maîtres d’ouvrage parmi lesquels Daniel Béhar, Laurent Davezies, Soline Nivet, Samuel Maillot, Gwenaëlle d’Aboville, Philippe Gasser.
Nous avons pensé le collectif et la transmission à travers un espace singulier, notre lieu de travail. Ce qu’élabore TVK est indissociable de l’espace qui accueille sa production. L’agence est conçue comme un lieu pour stimuler la création collective et l’écoute à travers quatre espaces particuliers : un large atelier maquette pour prototyper sans cesse, une grande bibliothèque située au centre, un restaurant où le déjeuner est servi chaque jour, et un amphithéâtre où les conférences et invitations régulières construisent une culture commune.
L’agence se situe à la porte de La Villette, au premier étage d’un mégalithe de béton édifié par Gérard Thurnauer à la fin des années quatre-vingt, en balcon sur les infrastructures de la métropole : le parc de La Villette au sud et, au nord, la profondeur de champ striée par le tramway, les voies ferrées, leurs corridors de nature et… le Périphérique.