Les deux sites de Velasco et Sunnyside qui étaient proposés pour le concours Reinventing Cities, sont caractérisés par une forte dualité. Leur surface est le lieu d’écosystèmes foisonnants et sauvages qui forment un paysage quasiment intouché depuis la fermeture des sites il y a près de cinquante ans, excepté quelques pratiques underground. Mais sous cette chape végétale silencieuse, la topographie signale les amoncellements de déchets et de cendres qui les constituent, et symbolise les traumatismes des communautés qui ont subi pendant des années les conséquences du mode de gestion des déchets métropolitains. Les deux collines échevelées sont comme des monuments invisibles à ce passé douloureux, repérables à la clôture grillagée qui les entoure et marque dans l’espace public autant la présence persistante des déchets que l’absence des habitants qui en ont souffert dans les générations précédentes. La surépaisseur de sol qui contient les matières dangereuses est ainsi le témoin d’une résistance de la mémoire humaine qui lutte contre l’oubli, autant que d’une forme de résilience de l’environnement. Elle suscite autant les peurs et les méfiances, que la quiétude et l’envie d’aventure qu’éveille la présence de nature en ville.
Le projet en cours sur le site de Sunnyside vise à défricher une grande partie de la décharge pour créer une ferme solaire, reproduisant la même approche programmatique fonctionnaliste que celle qui a consisté à installer des parcours de golfs sur une décharge voisine, niant la complexité psychologique et écologique de ces sites. Notre projet a pris le contrepied de ces approches en replaçant les sites dans une réflexion urbaine à grande échelle et à long terme, et en faisant le pari que ce fardeau luxuriant légué par les générations passées pouvait être une opportunité pour créer un nouveau sol commun, une aménité au bénéfice des communautés locales et métropolitaines. Plutôt que de continuer une politique de maintenance et d’oubli qui se contente de réparer superficiellement ces sites, nous avons choisi d’ancrer notre projet dans la nature profonde de ce sol, et de trouver un juste équilibre entre persistance et métamorphose, pour que la résilience de l’environnement s’accompagne aussi d’une résilience des communautés. Les deux projets combinent des actions sur les collines et hors-site, pour préserver l’équilibre fragile de ces écosystèmes tout en ménageant une place pour des activités humaines, et tenter de sortir de la dualité humain-nature pour penser le sol comme une infrastructure commune où s’enchevêtre humains et non-humains.
La métamorphose des collines repose sur des principes écologiques communs, qui visent non pas la conservation du sol existant, mais organisent une nouvelle phase de transformation et de sédimentation de ce sol, qui agira tant sur sa morphologie que sur sa composition biochimique. La dernière strate de terre, déposée là, est une ressource pour les projets. Les terres non contaminées peuvent être excavées à la fois en périphérie, là où aucun déchet n’a été déposé, où dans les collines, là où la couverture est épaisse de plusieurs mètres, pour venir renforcer la couverture des zones mal protégées, tandis que les terres polluées vont entrer dans un cycle de remédiation avant de pouvoir être réutilisées. Ce jeu de déblai et remblais, chorégraphié en lien avec les futurs usages et mouvements humains, vient amplifier les topographies existantes, diversifier les substrats de l’écosystème tout en ménageant des horizontales pour les activités humaines.
Velasco Incinerator and Sunnyside Landfill
Reinventing Cities C40
Houston, TX (USA)
Competition 2018-2019
TVK (architects and urban designers, team representative), Tolila+Gilliland (architects associated), D.I.R.T. Studio (landscape architects), Transolar (environmental and climate experts), Urban Fabrick (building sustainability consulting and certification administration), Langan (environment and landfills), Sherwood Design (engineers), buildingcommunityWORKSHOP (community engagement), Center for Creative Land Recycling (non-profit), Engie (energy infrastructures), CBRE (land-use consultant), Philippe Uzzan Partnerships (real estate producer), Rice University School of Architecture (academic), John Casbarian (academic consultant), Albert Pope (academic consultant), Recipe for Success Foundation/Hope Farms (adviser on urban farming and agriculture), Houston Bike Share (bike share service operator)
David Malaud (director of researches), Océane Ragoucy, Sarah Sauton (project directors), Michael Loconte, Jihana Nassif, Ali Zine
Velasco Incinerator
Le site de Velasco forme une bosse qui s’élève au-dessus de la plaine, au bord du Bayou Buffalo, constituée par les cendres de l’ancien incinérateur entassées jusqu’à 9 m d’épaisseur. Des espèces invasives ont colonisé la couverture de terre qui présente encore une forte teneur en plomb. L’ensemble est ponctué de quelques restes industriels, les deux cheminées de l’incinérateur font écho aux silos et hangars abandonnés des friches industrielles voisines. Cette ambiance de ruines pittoresques dissimule l’urgence d’une dépollution du site menaçant directement l’écosystème de ripisylve du bayou limitrophe.
En saison 1 débutent les excavations de la zone la plus éloignée du bayou, où n’ont pas été entreposées des cendres et qui peut donc accueillir des constructions. Les terres partiellement polluées au plomb sont déplacées dans des jardins de remédiation où est effectué un traitement au phosphate (qui transforme le plomb en une forme non absorbable par les plantes et les animaux). Puis elles sont entassées une fois dépolluées sur la butte existante pour former la base d’un tertre : le Mont Velasco.
En saison 2 est construite une tour, fondée dans la zone d’excavation, et un bâtiment incubateur entre le jardin de remédiation et le tertre qui continue de grandir par l’entassement de terres dépolluées.
En saison 3, la décharge est devenue un nouveau lieu de destination à proximité du centre-ville, un parc de quartier relié aux espaces publics de la Navigation Esplanade par une trame paysagère sur les anciennes voies ferrées. Le Mont Velasco offre un point de vue sur le paysage du bayou, les quais industriels et le skyline du Downtown. Suivant les mêmes principes de diversification qu’à Sunnyside, l’écosystème de l’ancienne décharge est amplifié, utilisant la différence de niveau et donc d’hygrométrie du sol pour faire pousser d’autres espèces sauvages. Un nouveau cycle dans la succession écologique du lieu est lancé.
Sunnyside Landfill
Au cœur d’un des quartiers les plus défavorisés, suivant les collines et vallées des déchets en-dessous, le sol crée une topographie de 100 hectares encore en pleine sédimentation. Sur les sables et les argiles de la plaine, la couche de déchets va jusqu’à 20 mètres d’épaisseur, avec une couverture variable, partiellement dégradée. La concentration de méthane est encore très importante, et le site suinte probablement des lixiviats qui contaminent en plomb, dioxines et furannes les sols et la nappe phréatique.
Le projet s’organise en trois saisons. À court terme, en saison 1 (2019-2021), pendant que les analyses des parties polluées sont lancées, les travaux de préparation des sols débutent sur les parties non polluées en périphérie du site. Plusieurs zones sont terrassées, permettant de récupérer des terres pour les couvertures et de créer des assises horizontales pour des constructions légères. En bordure du canal d’irrigation, les creux des excavations recréent un milieu humide accueillant les eaux de ruissellement, tandis que les terres excavées permettent de renforcer sur les bosses les couvertures dégradées offrant un substrat pour une végétation plus sèche. La diversification des substrats permet ainsi une diversification des espèces animales et végétales initie un nouveau cycle de cet écosystème relativement pauvre. Elle s’accompagne d’un travail fin pour limiter les plantes invasives exotiques, espèces opportunistes qui ont colonisé le site, et à l’inverse, favoriser le développement d’arbres, d’arbustes et d’herbacées natifs, plus adaptées à la sécheresse qui caractérise les buttes et à l’humidité des noues creusées.
En saison 2 (2022-2025) débute le processus de remédiation des sols pollués et la construction des premiers bâtiments légers en bois préfabriqué sur les parties dépolluées et terrassées en périphérie du site, ainsi que la construction des cheminements doux (piétons, vélos, chevaux) à travers les collines.
Après 2025, en saison 3, les travaux se terminent et l’ancienne décharge est désormais devenue le centre des activités communautaires, organisé en anneau autour de la réserve naturelle préservée.