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Garonne-Eiffel ou la combinaison entre nature et infrastructure

À Bordeaux, l’alliance de deux noms aussi évocateurs et puissants que Eiffel et Garonne peut d’emblée être lue comme la formulation d’une ambition toute spécifique pour ce territoire. Ces deux noms rendent hommage à la qualité et à la singularité de ce vaste site, aujourd’hui marqué simultanément par la nature et les infrastructures.

Adossé aux coteaux et étendu le long du fleuve, il est traversé, coupé ou connecté par un réseau de rails, routes, ponts, passerelles, souterrains ou traces infrastructurelles. Le fleuve Garonne et la passerelle Eiffel symbolisent cette dualité et la rencontre possible de la nature et de l’infrastructure. Par son caractère double, le site Garonne Eiffel est unique.

Plus que nulle part ailleurs à Bordeaux, ce site est la convergence entre la Garonne d’une part et les infrastructures à portée métropolitaine d’autre part. Réunissant cinq franchissements (pont de Pierre, pont Saint-Jean, pont ferroviaire, passerelle Eiffel et bientôt Pont Jean-Jacques Bosc), qui permettront à terme toutes les mobilités et toutes les vitesses (piétons, vélos, voitures, tramways, trains et TGV), le passage majeur du fleuve se situe ici. Ceci positionne le site Garonne Eiffel et son ouverture au-dessus du fleuve, comme un événement métropolitain primordial à Bordeaux : le rendez-vous particulier entre les habitants en mouvement d’une ville et son fleuve.

Mais au-delà de cet événement extraordinaire qui s’exprime à la confluence de deux grands paysages (le fleuve et l’épaisseur des infrastructures ferroviaires et routières), c’est tout le site Garonne Eiffel qui est caractérisé par ces deux thèmes, infrastructure et nature. Au travers de son histoire, ce territoire à connu des mutations qui ont alimenté ces deux notions, pour produire aujourd’hui une situation où le formidable potentiel urbain qui viendrait d’un pacte entre nature et infrastructure reste inexploité.

L’enjeu est donc ici de convertir ou de métamorphoser cette dualité en une alliance urbaine réelle qui ferait basculer ce site important pour Bordeaux vers une ambiance et une qualité de vie particulièrement désirables. Un réseau d’espaces ouverts plantés – jardins, parcs, quais, promenades, places, squares… – construit et rendu continu par les infrastructures, mais aussi par la question de l’inondation, deviendra le vecteur principal de la transformation du site. Nous proposons ainsi de faire de la combinaison entre nature et infrastructure le fil conducteur de ce projet.

Pourquoi une telle stratégie ?


Plusieurs raisons l’expliquent : Il s’agit d’abord de contribuer à la richesse, à la qualité et au rayonnement de Bordeaux dans son ensemble. Si Bordeaux est une ville de pierre, elle est ou peut-être aussi une ville de nature, surtout sur sa rive droite. Garonne Eiffel doit s’inscrire dans cet objectif métropolitain.

Il s’agit également d’engager un développement intrinsèquement durable, c’est-à-dire de considérer, pour imaginer le futur, que ce développement est déjà en cours et issu de l’histoire. Donc de travailler en harmonie avec les dynamiques à l’œuvre et les forces de l’existant.

Que l’idée maîtresse soit une stratégie et non un dessin. Les infrastructures ne sont pas un dessin, mais une réalité issue du passé. Leur métamorphose en lieux de nature s’apparentera donc à une stratégie, une tactique de projet possédant la souplesse indispensable à cette échelle.

À un autre niveau, cette démarche envisage de résoudre la traduction locale d’un des enjeux contemporains majeurs des métropoles : la synthèse des paradoxes. La condition métropolitaine née de la modernité a engendré des paradoxes tels (centre/périphérie, local/global, déplacement/séjour, attractif/répulsif…) que l’avenir des métropoles dépendra beaucoup de la capacité de chacune à les dépasser et les harmoniser.

La construction de la ville dans le temps


La robustesse de notre proposition tient à son ambition stratégique, nécessairement ouverte aux changements, aux aléas et aux réalités. Cette construction s’apparente à un processus de métamorphose, qui associe l’idée de transformation radicale à celle de conservation : un territoire passe d’un état à un autre en produisant des qualités nouvelles à partir des mêmes constituants essentiels.

Cette démarche se fonde donc sur l’existant et sur l’histoire pour imaginer l’avenir de ce site prometteur. Garonne Eiffel représente une promesse dans la ville par sa capacité à être évolutif et disponible. Le temps et son économie sont les éléments clés. Finalement, l’ambition de ce travail est, en s’insérant dans la culture de ce territoire et en la renouvelant, de lui donner à la fois une grande désirabilité et une capacité d’évolution et d’adaptation aux transformations des modes de vie des générations futures.

Garonne Eiffel en projet


Sur 126 hectares, Garonne Eiffel est un projet intercommunal entre Bordeaux et Floirac. Il a pour ambition d’offrir une autre dimension et une nouvelle entrée à la métropole bordelaise. Il se développe au travers de 9 quartiers dont 5 existent actuellement. Les 4 quartiers en projet prévoient une constructibilité de 870 000 m² – dont 600 000 m² de logements, 150 000 m² de bureaux, 50 000 m² d’activités, 30 000 m² d’équipements publics, 20 000 m² de commerces et 20 000 m² d’hôtels. L’habitat est au centre du projet puisque 7 500 logements sont prévus pour accueillir près de 12 500 habitants. Par ailleurs, 22 hectares d’espaces publics hors voirie seront progressivement aménagés sur les 100 hectares mutables.

Sur une échelle de 20 ans, Garonne-Eiffel se construira dans une stratégie de progression et de réversibilité accordant les enjeux d’une grande flexibilité aux rythmes du temps. Le processus tiendra d’abord à la structure des espaces ouverts, du parc aux Angéliques au jardin des Étangs. Le parc Eiffel permettra de réunir les plantations bordant les voies ferrées et les quais des secteurs Deschamps et Souys. Cette nouvelle trame verte mettra en réseau l’ensemble des éléments de paysage et se diffusera à l’intérieur des quartiers habités. Les solutions proposées face aux nuisances – inondation, bruit, pollution des sols – seront au cœur de la démarche. La densité de logements définie sera en lien avec le grand paysage et soulignera l’accessibilité de l’hypercentre, de l’autre côté du fleuve. Ainsi une « rive nature » plus dense se développera rive droite, avec ses fonctions et ses services, à travers les qualités de l’habitat intermédiaire associées à une grande diversité typologique

Article de Pierre Alain Trévelo et Antoine Viger-Kohler, publié dans Bordeaux, Chroniques Métropolitaines 1995-2017, éditions Dominique Carré, 2013.