La consultation Luxembourg in Transition – Visions territoriales pour le futur décarboné et résilient de la région fonctionnelle luxembourgeoise vise à réunir des propositions stratégiques d’aménagement du territoire et à produire des scénarios de transition écologique à l’horizon 2050 pour le Grand-Duché de Luxembourg et ses territoires frontaliers. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) fixés par le Plan Climat Européen nous ont poussé à innover et inventer une méthode afin d’articuler la mesure de l’empreinte carbone avec la réalité écologique et sociale des territoires. Notre proposition visait à construire une métrique du quotidien, cherchant à situer de manière fine les émissions de GES, pour établir un diagnostic des infrastructures du territoire de subsistance luxembourgeois, c’est-à-dire du territoire qui rend possible les activités de la vie quotidienne et qui dépasse actuellement largement les capacités du Grand-Duché.
L’étude suit le fil de quelques matières choisies et détaille les circuits de l’alimentation et de la construction, de l’extraction des matières à leur consommation, révélant les faiblesses et les potentiels des infrastructures qui organisent la région luxembourgeoise. Une telle perspective permet d’imaginer une transition vers un mode de subsistance plus raisonné, qui mette sur un pied d’égalité la vision métropolitaine du territoire centré sur ses polarités urbaines, et la vision rurale focalisée sur les paysages ressources. L’infrastructure des subsistances est pensée comme une structure à la fois robuste et flexible, permettant la résilience et l’adaptation aux changements sociaux et environnementaux. Elle implique de réorienter certains systèmes productifs qui font aujourd’hui la renommée du Luxembourg, mais sont sources d’importantes émissions de gaz à effet de serre, de pollution des sols, et d’atteinte à la biodiversité. Elle pourrait être mise en œuvre grâce à des nouvelles coalitions entre agriculture, foresterie et espaces urbains qui permettront de passer d’une gestion productiviste des ressources à une gestion écologique du territoire.
Vision territoriale pour le futur décarboné et résilient de la région fonctionnelle luxembourgeoise – horizon 2050
Département de l’aménagement du territoire du Ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, Gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg
Région fonctionnelle transfrontalière luxembourgeoise
2020-2021
TVK (architecte et urbaniste mandataire), Partie Prenante SASU (stratégies territoriales), Soline Nivet Architecture (architecture et théorie), SOL & CO (écologie des sols, agronomie), Université Gustave Eiffel/Laboratoire SPLOT (logistique), Bruno Barroca, Justinien Tribillion (urbanisme, politiques publique), Université Grenoble Alpes/Institut de Géographie Alpine, Institut National de l’Économie Circulaire, École nationale supérieure d’architecture de Nancy/Laboratoire d’histoire d’architecture contemporaine
David Enon (directeur de projet), David Malaud (directeur de recherche), Mathieu Mercuriali (directeur de projet), Sarah Sauton (directrice de projet), Jihana Nassif, Samuel Cabiron, Elsa Frangeard, Juliette Gonnin, Antoine Bertaudière
Le sol n’a cessé de perdre du sens, de la valeur, du volume, au cours des trois derniers siècles d’industrialisation, au profit d’activités décontextualisées puis dématérialisées. La société carbonée ignore la ressource du sol, en trois dimensions. Au Luxembourg et plus largement en Europe occidentale, depuis les années 1950, la mise en place de modes de gestion agricole reposant sur le contrôle des exploitations par des moyens chimiques, puis la dérégulation et la mondialisation des marchés agro-alimentaires, ont conduit à une hyper-productivité et une hyperspécialisation de l’agriculture. Un phénomène semblable a parallèlement touché la sylviculture, principalement des conifères, dont les plantations se sont industrialisées pour alimenter les filières de construction bois. Les forêts de feuillus, plus épargnées jusqu’à aujourd’hui, car plus complexes à exploiter, sont menacées de suivre la même voie. Dans le même temps sous la pression démographique de l’après-guerre, l’urbanisation a pris une forte ampleur, 20 429 hectares de terres artificialisées au Luxembourg entre 1950 et 2020, grignotant hectares après hectares sur les sols agricoles, forestiers et humides. Ensemble, ces processus caractéristiques des pays européens, sont facteurs d’importantes émissions de GES, et présentent paradoxalement une menace sur l’autonomie alimentaire, malgré les énormes surplus que dégagent les filières spécialisées. La crise du vivant, engendrée en partie par les modes de gestion conventionnels, met aujourd’hui en péril les capacités productives des sols appauvris et surexploités ainsi que les écosystèmes environnementaux. La transition écologique, nous oblige à replacer le sol, ses capacités et ses limites, au cœur de nos préoccupations, car de son état dépend en partie notre capacité à faire face aux changements, à nous adapter au nouveau régime climatique.
Après une ère de spécialisation des systèmes productifs, la transition écologique qui s’amorce est donc une période d’invention de nouvelles coalitions entre matières, systèmes productifs et territoires, qui prennent soin des sols et redessinent une infrastructure des subsistances. L’étude met en évidence une série de coalitions qui redistribuent les rapports :
Elles conduisent à une hybridation progressive des différents types de sols – sol forestier, sol agricole, sol hydromorphes et sol urbain. Prises ensembles, ces coalitions permettent d’imaginer la transition de la région fonctionnelle vers un mode de subsistance plus raisonné, et de définir une infrastructure écologique qui met sur un pied d’égalité la vision métropolitaine du territoire centré sur ses polarités urbaines, et la vision rurale focalisée sur les paysages ressources. Cette infrastructure des subsistances articule des principes spatiaux fondamentaux nécessaires à une coprésence des systèmes productifs locaux et des territoires transfrontaliers où se déroulent les parcours de vie des humains et des autres êtres vivants.
La scénarisation du projet à horizon 2050 est construite comme une fiction qui met en scène quatre territoires typiques de la région fonctionnelle luxembourgeoise et les différentes coalitions qui s’y nouent. Elle met en évidence quatre archétypes, qui fonctionnent comme des outils pour penser la mutation des paysages productifs. Plus qu’une programmation, ils mettent en évidence les coalitions nécessaires à leur bonne santé écologique, à la récolte durable de leurs ressources et à l’augmentation de leur capacité de stockage de carbone, laissant ensuite la possibilité d’adapter les projets aux spécificités de chaque territoire.
En prenant en filature les denrées alimentaires et les matériaux de construction, nous avons pu établir un diagnostic des milieux agricoles et forestiers qui produisent les matières premières de l’alimentation et de la construction. En adoptant les principes de l’écologie agricole et forestière, il est possible d’imaginer une transition de l’agriculture et de la foresterie qui vise une juste mesure entre productivité et résilience, sans pour autant revenir à des systèmes pré-industriels et réduire drastiquement les rendements. Cela implique de déconstruire les filières hyper-spécialisées comme celles du lait ou de l’épicéa afin de retrouver des exploitations en polyculture qui utilisent la diversité des espèces animales et végétales pour prendre soin du sol.
Les archétypes
L’agro-parc : agroforesterie, polyculture et réseaux de villages
Cet archétype qui reprend les principes du bocage est utile pour penser la régénération des sols agricoles pollués. Il est basé sur une logique de polyculture et d’agroforesterie qui transforme les champs en monoculture ou les pâturages intensifs. Un nouveau réseau de haies, d’arbres d’alignement ou de bandes boisées est installé sur la trame hydrologique des rus, talwegs et mares. Ce chantier paysager peut faire l’objet d’une coalition entre villageois et fermiers, pour allier restauration écologique et usages humains, notamment retrouver des cheminements entre les villages pour la promenade ou les mobilités douces.
Le campus sylvicole : sylvo-pastoralisme, gestion durable des forêts, et industrie du bois
Il vise à accompagner la conversion des monocultures d’épicéas malades, vers une gestion durable des forêts de feuillus plus adaptés au changement climatique. Celles-ci peuvent accueillir des animaux d’élevage (vaches rustiques, brebis chèvres) qui permettront une diversification de la production de lait, tout en améliorant l’entretien des parcelles forestières exploitées. Le réseau ferré pourrait devenir l’armature du nouveau campus de l’industrie du bois fabriquant des matériaux de construction locaux.
Le parkway rural : renaturation des rivières et logistique de proximité
Il sert à repenser les voies de circulation principales, dans les vallées, comme des corridors paysagers capables d’accueillir et favoriser la diversification des flux humains, mais aussi les migrations animales et les inondations des rivières qui sont et seront plus fréquentes. Dans l’hypothèse d’une réduction du cheptel bovin, les fermes qui les jalonnent peuvent devenir des lieux dédiés à la transformation des produits agricoles ou à la logistique alimentaire de proximité.
Les cités-jardins agraires : agriculture péri-urbaine
Enfin, cet archétype concerne la transformation des sols urbains peu denses, notamment ceux des zones pavillonnaires et d’activités qui sont majoritaires dans le territoire. Aujourd’hui fortement imperméabilisés et stérilisés, les nombreux espaces ouverts de ces territoires peuvent accueillir à nouveau des plantations d’arbres, de jardins potagers et des espaces humides, pour restaurer les lisières et les seuils qui permettent les relations entre l’habitat humain et celui des autres espèces non-humaines. Les anciens lieux dédiés à la logistique internationale pourront quant à eux servir aux nouvelles industries agroécologiques du territoire.